Des entreprises, notamment dans le secteur de la
construction, ont un intérêt financier à ce que l’Unité permanente
anti-corruption (UPAC) et l’Autorité des marchés financiers (AMF) tempèrent
leur ardeur dans leurs vérifications d’intégrité. Elles ont avantage à miner
leur crédibilité, et plus particulièrement les mécanismes de surveillance que
l’État québécois met en place depuis que
les journalistes d’enquête ont révélé les scandales de corruption et de
collusion. Les entreprises qui peinent à obtenir ou à conserver leur
attestation d’intégrité peuvent craindre les effets des projets de loi 107 (qui
concerne l’UPAC) et 108 (qui concerne l’AMF), deux projets de loi qui découlent
des recommandations de la Commission Charbonneau et qui sont maintenant sur la
glace, en partie à cause de «l’affaire Ouellette». Ce facteur n’est pas la
cause principale des attaques contre ces deux institutions. Mais il est occulté.
Plus loin dans ces notes, je souligne la signification de certains faits passés
inaperçus après les arrestations de Guy Ouellette et d’Annie Trudel, et qui
révèlent que les motifs économiques sont bel et bien présents.
«L’ingérence politique»
Le facteur principal de la campagne de dénigrement est
politique. Depuis des mois, l’opposition à l’Assemblée Nationale s’évertue à
miner la confiance dans l’UPAC, et cela avec un certain succès. Les trois
partis d’opposition ont développé une trame narrative qui peut se résumer ainsi : l’UPAC ne fait pas les efforts nécessaires
pour que soient accusés Jean Charest et Marc Bibeau (la preuve, c’est qu’elle
ne les a toujours pas arrêtés); au contraire, l’UPAC s’en prend à des lanceurs
d’alerte comme Guy Ouellette et sa partenaire Annie Trudel, lesquels se battent
avec courage contre la corruption.
Invité à RDI le 30 octobre, le député Pascal Bérubé a de
nouveau dénoncé «l’ingérence politique» dans l’UPAC. Invité sur le même plateau
à RDI quelques minutes plus tard, j’ai publiquement demandé à M. Bérubé
d’expliquer sur quoi il se basait pour formuler une telle accusation, laquelle
ne peut que provoquer du cynisme. Rappelons que c’est la pression populaire qui
a forcé le gouvernement libéral de Jean Charest à créer l’UPAC, en 2011, à la
suite des révélations des journalistes d’enquête. Maintenant, si cet organisme
voué à la lutte anti-corruption se soumet à l’influence politique des libéraux,
ou pire s’il s’avère lui-même corrompu, les Québécois ne peuvent plus avoir
confiance en rien et il ne vaut pas la peine de se mobiliser pour réclamer des
changements. C’est un peu comme si les Italiens apprenaient que leur police
anti-mafia était profondément infiltrée par la mafia. M. Bérubé n’a avancé
aucune preuve pour soutenir son allégation, qui est lourde de conséquence.
Mon expérience comme journaliste d’enquête et comme
enquêteur à la Commission Charbonneau m’a appris à chercher la vérité dans les
faits et, justement à me méfier des allégations qui ne s’appuient pas sur des faits.
Chaque fois que j’ai mené des enquêtes, j’ai commencé par dresser la
chronologie des événements et le portrait des principaux acteurs. Voici donc
quelques faits pour éclairer ce qu’il est convenu d’appeler «l’affaire»
Ouellette. Certains sont pertinents. D’autres sont peut-être peu significatifs,
mais je ne peux m’empêcher de les trouver intéressants dans le contexte.
Un coulage hors
normes
Le 24 avril 2017, le Journal
de Montréal et les médias du groupe Quebecor publient des documents
internes de l’UPAC[1].
Aucun journaliste ne peut leur en faire le reproche. Si, travaillant dans un
journal, j’avais reçu de tels documents, je les aurais certainement utilisés
(bien qu’autrement). Mais ce coulage suscite une question : à quoi
servait-il? Sa nature était absolument exceptionnelle. Le Journal avait obtenu les profils de Jean Charest et de Marc Bibeau
dressés par les enquêteurs de l’UPAC, avec tous les détails personnels, comme
la marque et l’année de leurs véhicules. Suivait une liste complète des
passages de M. Charest à la douane canadienne fournie par les Services
frontaliers. Plus important encore, le Journal
publiait la photocopie de la déclaration de Bruno Fortier, ancien délégué du
Québec à New York et témoin clé interrogé par les enquêteurs.
Ces informations très confidentielles ne révélaient aucun
crime commis par MM. Charest et Bibeau. Elles ne pouvaient donc pas appuyer la
thèse de cette trame narrative soulignée au début de ce texte, à savoir que ces
deux amis ont commis des crimes mais que l’UPAC refuse de les arrêter car,
selon ce «narrative», elle subirait
l’ingérence politique du gouvernement libéral. En revanche, cette fuite avait
un impact bien concret : elle semait la panique au sein de l’UPAC, un
organisme qui doit compter sur la collaboration de plusieurs autres corps
policiers et agences (comme les Services frontaliers). Loin de stimuler
l’intensification de l’enquête sur le financement du Parti libéral, et plus
précisément sur MM. Charest et Bibeau, elle risquait de la faire dérailler.
Ce coulage était une attaque frontale contre l’UPAC. Il
survenait deux semaines avant la comparution de son dirigeant, le commissaire
Robert Lafrenière, devant la commission de la sécurité publique, le 4 mai.
Comme on pouvait s’y attendre, M. Lafrenière a été bombardé de questions sur ces
fuites très embarrassantes. C’est à cette occasion qu’il a déclaré :
«C’est [la fuite] un geste de déloyauté totale […] Je souhaite ardemment qu’on
arrive à la conclusion et qu’on trouve le bandit qui aurait fait ça». En tant
que journaliste, je salue le courage des policiers qui coulent des informations
dans l’intérêt public. En ce qui me concerne, aucune information confidentielle
dont j’ai pu bénéficier n’a nui à des enquêtes en cours, bien au contraire (je
pense entre autres à mes enquêtes sur le ministre Alfonso Gagliano menée
conjointement avec mon collègue André Cédilot). Mais le coulage de documents
internes de l’enquête de l’UPAC sur le financement illégal du Parti libéral du
Québec est hors norme. Dans ce cas précis, on peut comprendre la colère de M.
Lafrenière, qui voyait menacée l’enquête la plus sensible menée par son
organisation depuis sa création.
L’UPAC lançait donc une opération, d’abord administrative,
puis criminelle, pour trouver le ou les responsables de la fuite, et
éventuellement recommander des accusations d’abus de confiance et d’entrave à
la justice. Le 25 octobre, coup de théâtre, elle arrêtait le député libéral Guy
Ouellette. L’UPAC dit ouvertement qu’elle le soupçonne d’avoir joué un rôle
dans cette fuite et laisse entendre qu’il pourrait être accusé une fois
l’enquête terminée. Les enquêteurs ont également arrêté sa partenaire Annie
Trudel, le temps de fouiller son sac à main. Les jours suivants, M. Ouellette
et Mme Trudel faisaient des déclarations fracassantes à des journalistes,
affirmant que l’UPAC les avaient arrêtés essentiellement pour deux raisons. La
première : Mme Trudel, qui se dit agente de renseignement, aurait
découvert un complot de corruption impliquant l’UPAC et l’Autorité des marchés
financiers autour de la certification des entreprises. Selon elle, M. Ouellette
s’apprêtait à révéler ce présumé complot. La deuxième raison: M. Ouellette
insistait pour que l’UPAC se soumette à une norme ISO, ce que refuserait M.
Lafrenière.
Un troisième personnage a fait son apparition dans cette
«affaire» : l’avocat Donald Riendeau. Et c’est ici qu’apparaissent des
motifs économiques dans la charge contre l’UPAC et l’AMF. Des motifs
secondaires, mais qui s’ajoutent aux autres, d’ordre politique et parfois
personnels.
Me Donald Riendeau
Me Riendeau dirige l’Institut de la confiance dans les
organisations (ICO). Dans une lettre publiée par Le Devoir le 2 novembre, Me Riendeau indique que Mme Trudel est une
collaboratrice de l’ICO. Bien que ne soutenant pas ses propos, il la félicite «de
son courage de dénoncer certaines pratiques» qui auraient court à l’AMF et à
l’UPAC. Il reproche ensuite à ces deux organismes d’empêcher injustement des
entreprises d’obtenir des contrats publics, car ils ne leur donneraient pas la
présomption d’innocence. Depuis que les scandales ont éclaté dans l’industrie
de la construction, la loi oblige les entreprises à obtenir une attestation
d’intégrité auprès de l’AMF si elles veulent avoir des contrats publics. L’AMF
se tourne vers d’autres organismes comme l’UPAC pour compléter ses vérifications.
S’il s’avère que «l’un des actionnaires […] présente un
passé douteux (par exemple la provenance d’un financement inexpliqué; plusieurs
mentions lors de la commission Charbonneau; etc.)», l’UPAC peut émettre un avis
défavorable et l’AMF peut refuser d’accorder l’accréditation, déplore Me
Riendeau.
«Certaines firmes d’avocats rencontrent des entrepreneurs et
leur disent que pour 100 000$, elles leur permettront d’obtenir leur
accréditation de l’AMF», poursuit Me Riendeau. «Une chose est certaine,
plusieurs professionnels en ont fait un business très lucratif et ont leurs
entrées privilégiées. Certains se vantent même de pouvoir appeler quatre fois
par jour les responsables de l’AMF et de l’UPAC. […] Pourquoi personne avant
Annie Trudel n’a-t-il osé dénoncer ce système et ses imperfections? Parce que
tous les entrepreneurs ont peur, et l’existence de leur entreprise dépend des
décisions de ces quelques individus.»
Après avoir lu cette lettre, j’ai téléphoné à l’Institut de
la confiance dans les organisations de Me Riendeau et j’ai demandé si cet «institut»
pouvait aider une entreprise à obtenir une certification de l’AMF. La réponse a
été affirmative. Autrement dit, Me Riendeau est lui-même dans le business de la
certification. De sa lettre, on comprend qu’il fait campagne pour que l’AMF et
l’UPAC soient moins sévères, pas seulement envers toutes les entreprises, mais
vraisemblablement envers celles qu’il défend.
Depuis 2013, seulement 340 avis défavorables ont été émis
parmi 4850 demandes. Seule une vingtaine d’entreprises se sont finalement vu
refuser leur autorisation, a souligné le PDG de l’AMF dans La Presse du 4 novembre. «Leur rejet vient essentiellement
d’infractions passées au Code criminel,
la Loi sur la concurrence ou à la Loi sur les valeurs mobilières,
notamment», rapportait le journaliste Francis Vailles, dans La Presse de la veille.
Je déduis de tout cela que Me Riendeau a comme clients
des entreprises dont les actionnaires ont vraisemblablement commis des
infractions jugées assez importantes pour se voir refuser l’accréditation. Si
tel est le cas, ce n’est évidemment pas répréhensible, les avocats étant les
professionnels tout désignés pour régler des litiges. Mais il appert alors que son
«institut» est en concurrence avec d’autres firmes spécialisées comme la
sienne : ce n’est pas pour rien qu’il se plaint de leur présumée proximité
avec l’AMF et l’UPAC. Proximité que n’aurait pas sa propre firme. Il peut
difficilement accuser ces deux organismes de corruption et de collusion sans
les indisposer, ce qui nuirait à son business. C’est sa collaboratrice Annie
Trudel qui mène cette campagne.
Notons que Me Riendeau n’en est pas à ses premiers clients
entrepreneurs. Au début des années 2000, il travaillait au sein de IVA
Solutions Conseils. Il avait alors accepté un mandat d’un haut dirigeant de la
compagnie Schokbéton, de la famille de Marc Bibeau, celui-là même qui est au
cœur de l’enquête Machûrer de l’UPAC. Benoit Fradet, un ancien député libéral,
était alors à la fois vice-président de Schokbéton et du comité exécutif de la
Ville de Laval. Ce double emploi avait attiré l’attention des journalistes. M.
Fradet avait requis les services de Me Riendeau pour le conseiller dans la
rédaction de sa déclaration d’intérêts[2].
Dans son mémoire déposé à la Commission Charbonneau,
l’Institut de la confiance dans les organisations dirigé par Me Riendeau
faisait la recommandation suivante : « Les gouvernements devraient
faire attention à la tentation d’adopter des lois rapidement sans en mesurer
les conséquences. Pour toute future loi visant à encadrer le milieu des
affaires et l’attribution de contrats, le gouvernement devrait faire une étude
des impacts à court, moyen et long termes.» En revanche, l’ICO faisait pas
moins de sept recommandations pour encadrer le travail des journalistes, dont
«une évaluation annuelle de chaque journaliste intégrant l’intégrité dans la
profession et le traitement de l’information par ses pairs»[3].
Annie Trudel
En 2010, Annie Trudel était l’adjointe administrative de Jacques
Duchesneau, dirigeant de l’Unité anti-collusion (UAC)[4].
En cours de route, elle est devenue «agent de renseignement»[5].
Il est intéressant d’examiner sa crédibilité.
En juin 2012, témoignant avec M. Duchesneau et un autre
enquêteur devant la Commission Charbonneau, Mme Trudel a affirmé qu’un
«collaborateur» de l’UAC avait identifié deux employés de deux firmes qui
étaient «soupçonnés» de recevoir une commission de 10% sur la quantité
d’avenants (les fameux extras) qu’ils allaient chercher dans les contrats
publics de construction[6].
L’affirmation était vague à souhait : Mme Trudel ne nommait ni ce
«collaborateur», ni les deux employés en question. Sous l’insistance des
commissaires, leurs noms furent divulgués le lendemain[7].
Des journalistes de La Presse
vérifièrent cette histoire… et publièrent le démenti catégorique de
l’entreprise qu’ils avaient pu joindre. Le responsable de l’entreprise affirmait
n’avoir jamais embauché un des deux employés identifiés devant la Commission.
«Il souhaite d’ailleurs que la Commission examine chaque dossier avant de
conclure à l’abus», rapportaient les journalistes[8].
C’était gênant.
Mme Trudel a dit à la Commission Charbonneau qu’elle a été
transférée à l’UPAC après son passage à l’UAC. On ignore comment s’est déroulé
son séjour à l’UPAC et pourquoi elle n’y est pas restée. Toujours est-il que le
ministre des Transports Robert Poëti lui a donné un mandat de vérification
externe. Quelque temps plus tard, Mme Trudel faisait des déclarations choc.
Elle et une autre employée du MTQ affirmaient que, en cours de vérification, elles
avaient subi de l’obstruction de la part de la sous-ministre Dominique Savoie
et que des documents avaient été détruits ou altérés. Mme Trudel soumettait en
commission parlementaire une clé USB contenant des milliers de documents
démontrant à son avis que Mme Savoie avait retenu des informations
embarrassantes pour sa gestion. Les allégations étaient tellement graves qu’une
enquête criminelle a été déclenchée et confiée à l’UPAC. Au bout de neuf mois,
l’UPAC a remis ses conclusions au Directeur des poursuites criminelles et
pénales. En mars 2017, le DPCP soulignait qu’il n’y avait pas matière à
poursuite. Il affirmait qu’aucun faux document n’avait été produit au MTQ. La vérificatrice
générale concluait également qu’il n’y avait pas eu de faute grave. Bref, les
allégations explosives de Mme Trudel étaient un pétard mouillé.
Mme Trudel est soudainement réapparue dans l’actualité après
l’arrestation de Guy Ouellette. Tous les deux se sont rendus dans les locaux de
Cogeco le lendemain de l’arrestation, soi-disant pour se «réfugier» parce
qu’ils étaient supposément sous filature, ce que l’UPAC a démenti. M. Ouellette
a donné une entrevue à Bernard Drainville, qui l’a diffusée le lundi suivant
sur les ondes de 98,5 FM. De son côté, Mme Trudel a donné une entrevue au Journal de Montréal. Elle a affirmé que
M. Ouellette s’apprêtait à faire des révélations sur des liens troubles entre
l’UPAC, l’AMF et une firme de consultants privés lorsqu’il a été arrêté.
Comme on a vu plus haut, l’UPAC fait des vérifications pour
l’AMF. Mme Trudel a affirmé que l’AMF avait dirigé deux entreprises vers une firme
de consultants privés, qui devait les aider à obtenir leur certification. Les
frais exigés variaient selon elle entre 600 000$ et un million de dollars. Mme
Trudel a évoqué un complot de collusion. Tant les dirigeants de l’AMF que de
l’UPAC ont catégoriquement nié avoir dirigé des entreprises vers une ou des
firmes de consultants privés. La Vérificatrice générale doit, encore une fois,
enquêter sur les allégations de Mme Trudel… laquelle, apprend-on maintenant,
est la collaboratrice d’une firme de consultants concurrente qui donne elle
aussi des conseils en certification, l’Institut de la confiance dans les
organisations de Me Donald Riendeau.
Mme Trudel a ensuite déclaré au journaliste Paul Arcand
qu’elle ne faisait pas «confiance au système». Aucune institution ne prend ses
allégations au sérieux, s’est-elle plainte : «Je me suis adressée au Vérificateur
général, au SPVM [le Service de police de la Ville de Montréal], à la Sûreté du
Québec, à l’UPAC, à la Régie du bâtiment. On a frappé à toutes les portes.
C’est comme s’il y a un vide.» Tout le monde est bête… sauf Mme Trudel (et M.
Ouellette). Et voilà peut-être sa motivation. Les Québécois devraient s’ouvrir
les yeux et reconnaître que : 1. Tout est pourri dans le petit royaume du
Québec, à commencer par l’UPAC qui n’est même pas capable de corroborer ses
allégations concernant la fabrication de faux documents; 2. Mais fort
heureusement on peut compter sur une formidable enquêteuse qui se bat avec
courage pour brasser la cage et faire la lumière : elle-même.
Guy Ouellette
Le nom de Guy Ouellette a été prononcé à la Commission
Charbonneau, mais pas à son avantage. Un de ses courriels a été déposé le 25
juin 2014 lors du témoignage de Violette Trépanier, qui a été responsable du
financement au Parti libéral du Québec[9].
M. Ouellette a adressé ce courriel à Mme Trépanier le 14 août 2007 :
Bonsoir Violette,
2 choses pour toi…
La première relative
à mon activité de financement du 17 septembre 2007...penses-tu qu’il soit
possible d’avoir en plus des ministres Courchesne et Dupuis la ministre Julie
Boulet uniquement pour le 5 à 7 sans qu’elle n’ait à prononcer de
discours...mon responsable de financement m’informe que la présence de Mme
Boulet en plus des deux ministres déjà annoncés pourraient faire doubler mon
objectif de financement principalement au sein des firmes d’ingénieurs qui
serait des plus réceptive à discuter avec Mme Boulet...tes suggestions et
surtout ta réponse serait les bienvenus...50 billets de plus pour cet effort,
cela pourrait être intéressant je pense...
Au plaisir, Guy Ouellette,
député de Chomedey
Cette activité de financement n’a finalement pas eu lieu.
Mais le courriel était pour le moins intriguant, venant d’un député qui se
targuait d’être plus blanc que blanc. M. Ouellette y évoquait la possibilité de
monnayer l’accès des firmes d’ingénieurs à la ministre des Transports Julie Boulet,
en tablant sur le fait que ces firmes sont prêtes à donner des milliers de
dollars au parti au pouvoir si elles pensent ainsi accroître leurs chances d’en
gagner encore bien plus en décrochant de lucratifs mandats au MTQ.
Trois semaines avant la comparution de Mme Trépanier devant
la Commission Charbonneau, soit le 5 juin 2014, des enquêteurs de l’UPAC invitaient
M. Ouellette à les rencontrer. Il s’y est présenté avec un avocat. Les
enquêteurs ont commencé par lui poser des questions ouvertes, lui demandant
ainsi ce qu’il pensait de ces activités de financement où l’on invite des
fournisseurs intéressés à avoir des contrats. M. Ouellette a répondu que, de
son côté, il n’avait jamais voulu que «des entrepreneurs, des ingénieurs ou des
architectes soient à mes activités». «Mes activités de financement n’étaient
pas populaires auprès de ces gens-là, à cause de mon statut d’ancienne police
et mon intégrité», a-t-il ajouté. Puis les enquêteurs lui ont présenté son
courriel, qui contredisait directement les propos qu’il venait de tenir. Piégé,
il a eu cette réaction d’une grande candeur : «C’est votre opinion que je
suis moins blanc que blanc». «Je n’ai pas d’explication à vous donner, pourquoi
c’est là [dans le courriel]», a-t-il ajouté, avant d’assurer qu’il n’avait
jamais été question pour lui «de contourner les lois».
Ces déclarations proviennent des notes manuscrites des
enquêteurs, obtenues par le journaliste Alexandre Robillard et d’abord publiées
sur le site internet du Journal de
Montréal le soir du 25 octobre 2017, soit le jour même de l’arrestation de
M. Ouellette. L’article de M. Robillard semble être passé inaperçu, du moins
auprès des nombreuses personnes (y compris des députés de l’opposition et le
maire Denis Coderre) qui se sont empressés de vanter l’intégrité de M.
Ouellette. Le 11 juin 2014, M. Ouellette rencontrait à nouveau les enquêteurs.
Cette fois, les avocats du PLQ avaient vraisemblablement imaginé une défense à
opposer à l’UPAC : M. Ouellette a soutenu lors de cette deuxième rencontre
qu’il n’avait que transmis une demande du responsable de l’activité de
financement, Paul Vaillancourt. «Ce ne sont pas mes paroles dans ce courriel»,
a-t-il affirmé aux enquêteurs. (Selon deux bonnes sources, Paul Vaillancourt,
impliqué pendant des années dans les activités de financement politique, est le
frère de l’ancien maire Gilles Vaillancourt, mais cela reste à vérifier avec
plus de certitude.)
Mme Trépanier a réutilisé la même ligne de défense
lorsqu’elle a été interrogée le 25 juin 2014 par le procureur de la Commission,
Me Paul Crépeau. Elle a prétendu que M. Ouellette n’était pas d’accord avec
l’idée d’inviter la ministre pour attirer des firmes d’ingénieurs. Me Crépeau
ne s’est pas laissé embobiner par une interprétation du courriel aussi éloignée
de la réalité : «[…] vous dites
[que] monsieur Ouellette était pas d’accord. Ce qu’il demande c’est quand même
d’avoir la présence de madame Boulet pour faire doubler son objectif de
financement, ‘50 billets de plus pour cet pour cet effort ça pourrait être
intéressant, je pense.’ Ça, c’est les paroles de monsieur [Ouellette]…[10]»
Guy Ouellette a donc été piégé une première fois par l’UPAC.
Lui qui se drapait dans la cape du blanc et preux chevalier anti-corruption s’était
finalement enfargé dans des stratagèmes de financement politique respectant
peut-être les dispositions légales à la lettre, mais qui se trouvaient fort
bien questionnés par la Commission Charbonneau et l’UPAC.
On peut imaginer sans trop de difficulté sa colère quand il
a été piégé une deuxième fois par l’UPAC, cette fois dans le cadre de l’enquête
sur le coulage d’informations confidentielles. Le 25 octobre, au cours de la
perquisition chez Richard Despaties, un analyste de l’UPAC congédié en octobre
2016, les enquêteurs de l’UPAC ont tendu leur fameux «appât». Comme on sait,
ils lui ont envoyé un texto à partir du téléphone cellulaire de M. Despatie
qu’ils venaient de saisir. Se faisant passer pour M. Despatie, ils lui fixaient
un rendez-vous urgent. Lors de la conférence de presse de l’UPAC, le directeur
des opérations, André Boulanger, a révélé que l’arrestation de M. Ouellette
n’avait pas été planifiée pour la journée du 25 octobre. Puis il a précisé que
«la réponse d’un des suspects [M. Ouellette] au scénario d’appât a été telle
que nous avons largement dépassé les objectifs du déploiement du scénario.
Devant cet état de fait, j’ai autorisé l’arrestation sans mandat du suspect
afin d’empêcher que l’infraction se répète et afin de préserver des éléments de
preuve cruciaux pour le reste de l’enquête»[11].
Comment M. Ouellette a-t-il réagi en se rendant au rendez-vous qu’il croyait
avoir été fixé par M. Despaties mais en voyant plutôt les enquêteurs de l’UPAC?
Probablement fort mal, à en juger ses propres déclarations à l’Assemblée
Nationale. On peut croire qu’il n’a pas dit «Oui, sans problème» avec le
sourire lorsque les enquêteurs lui ont demandé de leur remettre son téléphone
cellulaire afin de préserver des éléments de preuve.
Le 31 octobre, tous attendaient avec impatience ces
déclarations de M. Ouellette devant l’Assemblée Nationale. Avec d’autant plus
d’impatience que la veille, sa partenaire Annie Trudel avait révélé qu’il
s’apprêtait à révéler des informations explosives sur le complot de collusion
impliquant l’UPAC, l’AMF et une firme de consultants privés autour du processus
de certification des entreprises. Lui-même avait déclaré sur les ondes de 98,5
FM qu’il militait pour que l’UPAC soit assujettie à une norme ISO
anticorruption. «Elle ne veut pas, c’est beaucoup trop contraignant pour elle»,
avait-il affirmé. «On a voulu m’écarter. Je suis le seul obstacle - comme
président de la commission des institutions, et par le travail que je fais pour
les citoyens du Québec -, dans le cheminement de l’adoption [du projet de loi
107] qui va faire de l’Unité anticorruption un corps de police». Projet de loi
qui, selon lui, ferait que l’UPAC serait encore moins redevable aux parlementaires.
(Allégation qui camoufle une ignorance du cadre juridique en place, voulant
qu’un corps de police ne doit justement pas être redevable aux parlementaires,
cela afin de respecter la nécessaire séparation des pouvoirs législatif et
judiciaire.)
Comme des milliers de Québécois, j’attendais donc que M.
Ouellette révèle devant l’Assemblée Nationale le scandale de l’année. Son
entrée en matière était prometteuse : «Dans une tentative d'intimidation sans précédent, j'ai
été victime d'un coup monté par l'Unité permanente anticorruption au moment
même où les membres de la commission que je présidais se préparaient à entendre
des témoignages des dirigeants d'organismes publics qui sont sous la compétence
de la commission. Depuis les dernières semaines, des irrégularités dans
l'application de certaines règles de gouvernance ont été portées à notre
attention.»
Très
bien, me suis-je dit, nous allons enfin savoir quel était ce coup monté,
pourquoi l’UPAC voulait intimider le député Ouellette et quelles étaient ces
irrégularités qui avaient été portées à son attention. M. Ouellette avait une
tribune exceptionnelle pour s’exprimer. Une tribune qui lui permettait de
donner tous les faits concernant cette intimidation et ces irrégularités dont
il parlait, de nommer des noms, de donner des dates, de présenter des
informations probantes, sans crainte d’être ensuite poursuivi en libelle car il
jouissait de l’immunité parlementaire. J’ai vite déchanté et c’est à ce
moment-là que mon opinion sur toute cette «affaire» a brutalement changé car,
comme bien des gens, j’avais d’abord réagi avec mes émotions, outré que la
police arrête un député sans même le nommer et sans dire pourquoi. Mais quand M.
Ouellette a poursuivi la lecture de son discours, il a perdu pour moi toute
crédibilité.
M.
Ouellette a multiplié les lieux communs, se vantant d’être «un ardent défenseur
de la justice sociale, des valeurs démocratiques, de la liberté d’expression et
de la vérité», mais sans donner aucun fait appuyant ses allégations
d’intimidation, de coup monté et d’irrégularités. S’il ne le faisait pas alors
qu’il en avait la possibilité, c’est qu’il n’avait pas l’ombre d’une preuve
pour soutenir ses graves allégations à l’endroit de l’UPAC. Deux
heures plus tard, les dirigeants de l’UPAC, eux, donnaient le maximum
d’informations qu’ils pouvaient donner aux journalistes dans le cours d’une
enquête, tout en protégeant cette enquête. Ils nous apprenaient que toute leur
opération avait été faite conjointement avec d’autres corps de police, avec le
DPCP et en suivant l’autorisation des juges. Par prudence, ils auraient pu s’en
tenir à la lecture de communiqués. Mais non, ils ont répondu sans hésiter aux
questions des journalistes.
Les
détracteurs de l’UPAC, dont M. Ouellette, des députés et des commentateurs,
répètent depuis des mois que le commissaire Robert Lafrenière a sciemment
intimidé les parlementaires en procédant à l’arrestation de l’ancienne
vice-première ministre Nathalie Normandeau le jour du dépôt du budget, et peu
de temps avant le renouvellement du mandat du commissaire. Ce faisant, selon
cette autre trame narrative, M. Lafrenière forçait la main aux parlementaires,
car il aurait été bien mal venu de refuser de le reconduire à la tête de
l’UPAC, le gouvernement libéral risquant alors d’être soupçonné de l’écarter
parce qu’il avait arrêté une ancienne ministre libérale. Cette énième théorie
du complot, complètement tarabiscotée, s’est effritée comme un biscuit soda dans
une soupe aux pois lors de la conférence de presse. M. Lafrenière a expliqué
que, selon la procédure normale, le dossier d’enquête avait été soumis au DPCP
avant l’arrestation de Mme Normandeau. Une fois que le DPCP avait décidé qu’il
y avait matière à accusation, l’UPAC devait procéder avec diligence, car si le
temps tardait, il y avait un risque de fuite et de torpiller l’opération. C’est
par pure coïncidence que l’arrestation s’est déroulée le jour du budget. Eh oui,
les coïncidences existent dans ce monde, mais les partisans des théories du
complot n’y croient pas. Quoi qu’il en soit, si c’est cela «l’ingérence
politique», «l’intimidation» et les «coups montés», les Québécois peuvent se
rassurer : malgré tous les travers de leur société, ils vivent encore dans
un État de droit.
[1] http://www.journaldemontreal.com/2017/04/24/jean-charest-et-marc-bibeau-surveilles-de-pres-par-la-police
[2] Le
syndicat de l’information de Transcontinental c Le Groupe des journaux, Québec
et Ontario, Tribunal d’arbitrage, 3 avril 2014.
[3]
Institut de la confiance dans les organisations, Vers une société créatrice de
confiance, Mémoire présenté à la
Commission d’enquête sur l’octroi et la gestion des contrats publics dans
l’industrie de la construction, juillet 2014; https://www.ceic.gouv.qc.ca/fileadmin/Fichiers_client/centre_documentaire/Memoire_Vers_une_societe_creatrice_de_confiance.pdf
[4] Témoignage de Jacques Duchesneau, CEIC, 13
juin 2012, p. 145 ; pièce 5P-82.
[5] Témoignage d’Annie Trudel, CEIC, 18 juin
2012, p. 11.
[6]
Témoignage d’Annie Trudel, CEIC, 18 juin 2012, p. 154.
[7] Témoignage de Martin Morin, CEIC, 19 juin
2012, p. 33.
[8] La Presse, 20 juin 2012, «Des spécialistes
des extras à commission».
[11]
Extrait d’un verbatim approximatif
de la conférence de presse de l’UPAC du mardi 31 octobre 2017.
M.Noël, je viens de lire votre texte au complet. C'est un excellent résumé des FAITS, à ce qu'il me semble. J'ai été surpris et déçu moi aussi de la déclaration de M. Ouellet à l'Assemblée nationale. Par contre, l'exposé de M. Boulanger de l'UPAC m'a vraiment impressionné. Sa description détaillée des FAITS me semblait très crédible et indiscutable.
RépondreEffacerQuant à l'intervention de Jacques Chagnon, autant elle m'avait un peu ébranlée avant la conférence de presse de l'UPAC, autant elle a suscité chez moi la même réaction que celle du ministre Moreau. J’ai bien aimé le fait qu’il a fait bande à part et qu’il a résisté à se laisser entraîner par la vague d'émotions qui a suivi l’intervention de Jacques Chagnon.
La question demeure donc sans réponse. Qui dit VRAI ? Je ne le sais pas. Mais comme vous, je soupçonne que c’est l'UPAC…… Souhaitons en tout cas qu'on puisse le savoir bientôt ! Et merci pour avoir eu la patience de retracer et d'écrire les péripéties de "l'affaire Ouellet" !
Un commentaire qui me rejoint
RépondreEffacerVoilà qui met les choses au point. J'espère que ce texte sera largement lu par le public et nos élus du parlement de Québec.
RépondreEffacerUne enquête complète et rigoureuse qui met à mal nos convictions premières. Merci
RépondreEffacerPierre R Chantelois
M. Noël, un autre texte qui me démontre une fois de plus pourquoi j'ai toujours de l'estime pour votre rigueur! Merci pour ce texte qui replace les faits !
RépondreEffacerAvec ce qui est sorti dans les médias hier, j'ai bien hâte d'entendre la suite.
RépondreEffacerAvec ce qui est sorti dans les médias hier, j'ai bien hâte d'entendre la suite.
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