Youri Chassin, la CAQ
et le lobby du pétrole
- André Noël, 18 septembre 2018
Lorsque j’étais
journaliste à La Presse, j’ai enquêté sur les stratégies de quelques
industries, dont celles des médicaments génériques, de la construction et du
tabac (et de ses groupes paravents). Cette fois, je m’intéresse au lobby du
pétrole et à un de ses porte-voix, Youri Chassin, ancien directeur de la
recherche à l’Institut économique de Montréal (IEDM) et maintenant candidat
pour la Coalition Avenir Québec. La première partie de ce dossier, publiée
aujourd’hui sur https://ricochet.media, porte sur les liens entre l’IEDM et des fondations financées par
les frères Koch, d’importants magnats du pétrole. La deuxième partie, publiée
demain, porte sur les écrits de M. Chassin.
En démissionnant avec fracas, le 28 août, Nicolas Hulot, le
ministre français de la Transition écologique et solidaire, a dénoncé
l’influence des lobbies sur son gouvernement[1]. Le
lobby le plus puissant est celui du pétrole, qui se mobilise sur toute la
planète pour dissuader les États d’adopter des mesures efficaces contre les gaz
à effet de serre (GES), alors que le réchauffement du climat menace la survie
de l’humanité. Au Québec, ce lobby compte parmi ses acteurs l’Institut
économique de Montréal (IEDM), où Youri Chassin, maintenant candidat pour la
Coalition Avenir Québec (CAQ), a été économiste puis directeur de la recherche
de 2010 à 2017[2]. Il
vaut la peine de se pencher sur ses faits d’armes, car M. Chassin pourrait très
bien occuper des fonctions importantes s’il est élu avec la CAQ. Il faut pour
cela examiner la face cachée de l’IEDM et ses relations avec des think tanks américains
soutenus par des magnats du pétrole, dont les frères Koch.
Selon le Vancouver
Observer, les frères Koch ont financé l’IEDM par l’entremise de leurs
fondations[3]. L’IEDM
est formellement associé à l’Heritage Foundation, une des nombreuses fondations
soutenues par les frères Koch et qui font la promotion du pétrole, selon le
dernier rapport annuel de la Fondation[4]. L’IEDM
fait partie du Atlas Network, un réseau de think tanks pro-pétrole qui comprend
également l’Heritage Foundation, le Cato Institute et le groupe Americans for
Prosperity Foundation[5], le
bras politique des Koch[6]. (Je
donne les détails plus loin.)
Les chroniqueurs politiques ont souligné l’absence de M.
Chassin lorsque le chef de la CAQ, François Legault, a présenté son «escouade
économique», le 29 août[7]. Cette
absence peut n’être que stratégique. M. Chassin s’est déjà prononcé contre
la gestion de l’offre dans la production agricole[8],
alors que ce dossier est devenu très sensible en raison de la renégociation de
l’Alena[9]. La
CAQ ne peut se permettre de défendre la gestion de l’offre avec tiédeur,
d’autant plus que ce dossier risque de devenir explosif si le premier ministre
Justin Trudeau cède aux pressions du président Donald Trump avant les élections
du 1er octobre. (M. Trump ne veut pas lâcher prise sur ce point, car
il tient à l’appui des producteurs laitiers du Wisconsin, un des États qui
l’ont porté au pouvoir en 2016[10].)
Un train peut en cacher un autre. Pendant que l’attention
publique est centrée sur la gestion de l’offre, un autre dossier passe sous le
radar, celui de l’exploitation et du transport des hydrocarbures. Tout indique
que M. Legault est sur la même longueur d’ondes que M. Chassin à cet
égard. Quand il a présenté sa
candidature dans Saint-Jérôme, le 15 avril, la CAQ a souligné que les deux
hommes «ont toujours partagé une vision commune pour le Québec». Radio-Canada
notait que «l’économiste (M. Chassin) était déjà très près du parti fondé par
François Legault, comme en témoigne sa présence au congrès national de la CAQ,
en novembre dernier[11]».
Tout comme M. Chassin, le programme de la CAQ est favorable à la fracturation
hydraulique pour l’exploitation des hydrocarbures (sauf «dans les secteurs où
il y a une forte densité de population ou une absence d’acceptabilité sociale[12]»). Cette
position est restée même après que la CAQ ait effacé de son programme les mots
«pétrole» et «gaz de schiste» le 28 août, soit le jour où ses adversaires
l’accusaient d’être un parti pro-pétrole[13].
Rappelons que M. Legault s’est déjà montré prêt à appuyer le projet d’oléoduc
d’Énergie-Est si le Québec pouvait en profiter sous forme de redevances[14]. La
CAQ refuse d’éliminer les subventions aux combustibles fossiles et d’interdire
la construction de nouvelles infrastructures pétrolières et gazières[15].
M. Chassin a été au cours des dernières années un ardent
partisan de l’exploitation et du transport des hydrocarbures, dénonçant par exemple
les détracteurs d’Énergie-Est comme le maire Denis Coderre[16].
L’Institut économique de Montréal (IEDM) et
l’Institut Fraser, son pendant au Canada anglais, ne nient plus les changements
climatiques, comme l’ont fait par le passé certains de leurs chercheurs, dont
Nathalie Elgrably-Lévy, une autre économiste de l’IEDM. (En 2012, Mme Elgraby
affirmait que les scientifiques avaient eu tort de s’alarmer car «la thèse du
réchauffement climatique est morte[17]».) Les preuves du réchauffement sont
désormais tellement évidentes même pour le commun des mortels que nier le
phénomène revient à se couvrir de ridicule. Les climato-sceptiques 2.0
s’emploient plutôt à minimiser la gravité du réchauffement, à nier l’urgence de
ne plus émettre de GES, et à ridiculiser les propositions et gestes en faveur
d’une révolution énergétique. C’est ce qu’a fait M. Chassin pendant sept ans. (Plus
de détails dans la partie 2 de ce dossier, publiée demain.)
M. Chassin a été rémunéré par l’IEDM de
2010 à mars 2017. Mais qui finançait et qui finance l’IEDM ? L’IEDM refuse
de le dire. L’Institut affirme que 67% de son financement provient de
fondations, mais il ne les identifie pas[18]. En
2011, M. Chassin et ses collègues publiaient un texte sur le site de l’IEDM où
ils déploraient le manque de transparence financière des syndicats québécois,
alors qu’ils jouissent d’avantages fiscaux[19].
L’IEDM, à qui Revenu Canada accorde le statut d’organisme de bienfaisance[20], a
lui aussi des avantages fiscaux : ses donateurs peuvent déduire leurs dons
de leurs impôts. Le refus de l’IEDM de dévoiler ses sources de financement soulève
des questions. L’IEDM est-il l’organisme indépendant qu’il prétend être ?
Le lobby des hydrocarbures a-t-il tenté et tente-t-il
encore, par l’entremise de l’IEDM et de candidats comme M. Chassin, d’influencer
sans le dire les politiques énergétiques de la CAQ et, éventuellement, du
gouvernement ?
Selon M. Chassin, il n’est pas urgent de se
passer du pétrole[21] et le réchauffement
climatique pourrait profiter aux rendements agricoles[22]. Or,
les preuves de l’urgence sont accablantes et le réchauffement a nui aux rendements
agricoles dans de nombreuses régions du monde, même dans des pays nordiques
comme la Suède[23]. Des producteurs ont
aussi subi les impacts des très longs épisodes de grosse chaleur au Québec[24]. Un
rapport publié le 10 septembre par cinq agences des Nations unies souligne que
les dérèglements climatiques causent déjà de graves crises alimentaires et
augmentent la faim, surtout en Afrique[25]. Ce
n’est qu’un début. Si un changement radical n’est pas fait tout de suite, le
point de rupture sera franchi[26]. Le
scénario le plus réaliste prévoit une augmentation de la température de 3,5
Celcius au cours des prochaines décennies. Une hausse de 5 Celcius n’est pas
exclue avant 2100 : des experts renommés affirment qu’un tel
réchauffement signifie que la planète deviendrait invivable pour les êtres
humains[27]. Le
secrétaire général de l’ONU nous prévient qu’il ne reste plus que deux ans pour
agir[28]. S’il
y a bien un dossier prioritaire, comme le disait Nicolas Hulot, c’est celui-là.
L’IEDM et
les frères Koch
L’IEDM est le think tank (ou groupe de
réflexion) de loin le plus cité au Québec. En deux ans seulement, son nom
complet, «Institut économique de Montréal», revient 4802 fois dans le site
Eureka.cc, la banque de données des médias. Pendant la même période, le nom
complet de l’IRIS, «l’Institut de recherche et d’informations
socio-économiques», un groupe de recherche qui publie des études fouillées mais
critiques des politiques néo-libérales, apparaît 33 fois dans la banque Eureka[29].
C’est peu dire que l’IEDM «possède une grande visibilité dans les médias
québécois», comme le note l’article de Wikipédia qui lui est consacré[30].
L’IEDM a été créé par l’économiste Pierre
Lemieux en 1987, mais c’est lorsque Michel Kelly-Gagnon en a pris la direction,
en 1999, qu’il a vraiment pris son envol, si bien que l’IEDM établit lui-même
l’année de sa création à 1999[31]. M.
Kelly-Gagnon a obtenu son diplôme en économie à l’Institute for Humane Studies
(IHS)[32], un
think tank financé par Charles Koch[33]. Trois
des 11 membres du conseil d’administration du IHS viennent du groupe Koch, soit
Charles Koch, propriétaire de Koch Industries, Ryan Stowers et Brian Hooks,
tous les deux provenant de la Charles Koch Foundation[34].
Avant de devenir vice-président aux opérations de l’IEDM, Jasmin Guénette était
directeur des programmes universitaires à l’IHS[35].
L’IEDM offre 300$ en frais de transport aux étudiants qui veulent se rendre en
Virginie pour participer aux séminaires gratuits de l’IHS[36].
Le magazine Mother Jones qualifie l’IHS de «refuge pour les négationnistes du
climat» : «a haven for climate change deniers that receives funding from
the Koch family foundations[37]».
Greenpeace USA affirme que les fondations Koch ont versé 30 millions de dollars
à l’IHS entre 1997 et 2015[38]. Le
IHS a donné naissance au Institute for Energy Research avec l’aide de Charles
Koch, selon des documents obtenus par le Republic
Report[39]. Selon le Huffington Post, Robert L. Bradley Jr et
son père sont deux des trois personnes qui ont incorporé l’Institute for Humane
Studies of Texas. Bradley Jr est l’auteur du livre «Climate Alarmism
Reconsidered[40]» et est le fondateur et
le CEO de l’Institute for Energy Research[41].
Les frères Charles et David Koch sont à la
tête d’un des plus gros empires du pétrole au monde. Un empire impliqué depuis
longtemps dans le financement de campagnes politiques aux États-Unis[42] et
très influent dans l’opinion publique par l’entremise d’une ribambelle de
fondations et de think tanks comme l’IHS, le Americans for Prosperity, le Cato
Institute, etc. Koch Industries a son siège social à Whichita, au Kansas. Ses
revenus annuels sont estimés à 100 milliards de dollars[43].
En 2011, l’agence Reuters signalait que
Koch Industries est responsable de l’importation de 25 p. cent du pétrole
provenant des sables bitumineux de l’Alberta aux États-Unis. Une de ses
filiales en Alberta, Flint Hills Resources Canada LP, fournit 250 000 barils de
pétrole bitumineux chaque jour à la raffinerie de Koch au Minnesota. Flint
Hills exploite un terminal à Hardisty, en Alberta, point de départ du pipeline
Keystone XL. Les frères Koch ont lancé une véritable campagne contre le
président Barack Obama, lorsque celui-ci a envisagé de bloquer le projet de
Keystone XL. Voici un extrait de cet article :
The Koch brothers are not run-of-the-mill
political opponents. An investigative report last year by the New Yorker
magazine on the secretive and deep-pocketed pair have shown them to be “waging
a war against Obama.” They have bankrolled the Tea Party movement,
climate change skepticism and right-wing think tanks, such as the Cato
Institute, the Heritage Foundation, the Competitive Enterprise Institute and
the National Center for Policy Analysis.
Through Flint Hills Resources LP based in
Wichita, Kan., the Koch brothers provided $1 million in 2010 to the failed
effort to suspend California’s groundbreaking 2006 global warming law.
After the 2010 midterm elections, they have
become established at the center of GOP power, according to The Los Angeles
Times[44]. (Le
GOP, ou Grand Old Party, désigne le Parti républicain.)
Selon le National Observer, Koch Industries contrôle entre 1,1 million à 2
millions d’acres de terrains bitumineux en Alberta, l’équivalent d’environ 4500
kilomètres carrés. La valeur de ses actifs dans les sables bitumineux se
calcule en dizaines de milliards de dollars[45].
L’écologiste David Suzuki a lui aussi souligné l’importance des frères Koch,
une importance non seulement économique mais aussi idéologique :
Brothers Charles and David Koch
run Koch Industries, the second-largest privately owned company in
the U.S., behind Cargill. They’ve given close to US$70 million to climate change denial front
groups, some of which they helped start, including Americans for Prosperity,
founded by David Koch and a major force behind the Tea Party movement.
Through their
companies, the Kochs are the largest U.S. leaseholder in the Alberta
oilsands. They’ve provided funding to Canada’s pro-oil Fraser
Institute and are known to fuel the Agenda 21 conspiracy theory, which claims a
1992 UN non-binding sustainable development proposal is a plot to remove
property rights and other freedoms[46].
L’influence politique des frères Koch est
telle qu’elle a alarmé les sénateurs démocrates : 19 d’entre eux ont émis
un communiqué commun en 2016 pour dénoncer leur campagne contre les mesures
visant à contrer le réchauffement du climat :
Washington, D.C. – Throughout the week on the Senate
floor, Senate Democrats called out various trade associations, foundations, and
organizations for perpetrating a sprawling web of misdirection and
disinformation to block action on climate change. The Senators’ remarks
detailed the concerted campaign waged by the Koch brothers, major fossil fuel
companies, identity-scrubbing groups like Donors Trust and Donors Capital, and
their allies to manipulate the public’s perception of the climate crisis and
curtail legislative action to address it[47].
Dans son article de 2012, le Vancouver Observer a écrit que les dons
versés par les frères Koch à l’IEDM l’avaient été par l’entremise de fondations
auxquelles ils sont liés, soit la Claude R. Lambe Foundation et la Chase
Foundation of Virginia[48]. Selon
sa déclaration fiscale, la Chase Foundation a encore fait un don à l’IEDM en
2016[49].
Un économiste très proche des frères Koch,
James M. Buchanan, était Senior Fellow honoraire de l’IEDM avant de décéder, en
2013[50].
Selon l’historienne Nancy MacLean, auteure du livre Democracy in Chains, Charles Koch a donné des millions de dollars à
la George Mason University pour financer les recherches de M. Buchanan, qui
finit par recevoir le prix Nobel de l’économie. En 1980, M. Buchanan a été
invité au Chili, où il a aidé la dictature d’Augusto Pinochet à réécrire la
Constitution et à élaborer des programmes de privatisation[51].
L’influente
Heritage Foundation
L’Heritage Foundation fait partie des 32
groupes dénoncés par les 19 sénateurs démocrates. On peut trouver sur son site
des études minimisant la gravité du réchauffement climatique. L’une d’elle
prétend que les hydrocarbures vont aider l’humanité à contrer les changements
climatiques[52]. «The Kochs have funded
many sources of environmental skepticism, such as the Heritage Foundation,
which has argued that ‘scientific facts gathered in the past 10 years do not
support the notion of catastrophic human-made warming’», a souligné le New Yorker[53].
Tel qu’indiqué plus haut, l’IEDM est un
«executive associate» de l’Heritage Foundation[54].
Cette fondation est financée non seulement par les frères Koch, mais aussi par
Exxon Mobile, selon le magazine Mother
Jones (le même article ajoute qu’Exxon a aussi versé des fonds à l’Institut
Fraser[55]).
Après l’élection de Donald Trump, à l’automne 2016, Michel Kelly-Gagnon est
allé rencontrer ses collègues de l’Heritage Foundation à Washington. Il a fait
état de sa visite dans le Huffington Post
et sur le site de l’IEDM :
Trump's willingness to work with the
Heritage Foundation has already calmed some of the fears that the new
administration would take a strong anti-free-market approach. Despite concerns
that a Trump presidency could be all over the place, the professional and
principled presence of the Heritage Foundation certainly makes me less worried
that this might be the case. My recent trip to Washington to confer with top
Heritage Foundation officials bears this out. These people are serious, and the
people around Trump with whom they are working are also serious[56].
Dans son dernier rapport annuel, l’Heritage Foundation se
vante d’ailleurs de son influence auprès de l’administration Trump :
In its first year, the Trump
administration embraced fully 64 percent of the Mandate recom- mendations. No wonder the New Republic called Heritage “The D.C. Think Tank Behind Donald
Trump” and the University of Pennsylvania ranked us as the No. 1 think tank
globally in terms of impact on public policy [57].
Les chercheurs de l’IEDM collaborent à
l’occasion avec leurs vis-à-vis de l’Heritage Foundation. La dernière recherche
conjointe l’a été le 14 août 2018 et portait sur les baisses de taxes des
entreprises. Elle était rédigée par Mathieu Bédard, de l’IEDM, et Adam Michel,
analyste à l’Heritage Foundation[58]. Le
Dr Jacques Chaoulli, identifié comme un «senior fellow» de l’IEDM[59], a
été invité à donner une conférence à l’Heritage Foundation après avoir obtenu
une victoire à la Cour Suprême du Canada qui faisait une brèche dans le
programme d’assurance-santé publique[60].
Les
réseaux
Les think tanks, les fondations et les
institutions identifiés par les 19 sénateurs, et bien d’autres, forment une
espèce de nébuleuse, plus ou moins organisée en réseaux. L’un de ces réseaux
est le International Policy Network (IPN), un groupe qui a mené des campagnes
contre la science des changements climatiques. En 2004, l’IPN a ainsi reçu des
fonds de la pétrolière Exxon pour mener des recherches sur le climat,
lesquelles ont mené à la publication d’un livre niant le réchauffement
climatique et niant du fait même d’adopter des mesures pour le contrer. Selon
le Center for Media and Democracy, l’IEDM est membre de ce réseau[61].
Tel qu’indiqué plus haut, l’IEDM est aussi
partenaire d’un autre réseau, le Atlas Network[62]. Donald
Gutstein, professeur de communication à l’Université Simon Fraser
(Colombie-Britannique), affirme que l’Atlas Network a en fait participé à la
création de l’Institut économique de Montréal en 1999. Le fondateur de l’Atlas
Network, le Britannique Antony Fisher, avait fait valoir à de puissants
entrepreneurs de plusieurs régions d’Amérique et d’ailleurs qu’il était plus
intéressant de confier la promotion de leurs idées à des think tanks soi-disant
neutres. Le public se doute bien que les entreprises défendent leurs propres
intérêts lorsqu’elles proposent l’adoption de telle ou telle mesure. «Les
entreprises ont besoin de l’appui de think tanks qui, en apparence, ne
dépendent pas d’elles mais qui, dans les faits, sont soutenus par elle, et qui
donneront un vernis académique et indépendant à leurs efforts promotionnels»,
écrit M. Gutstein (ma traduction)[63].
M. Fisher a participé à l’implantation
d’une trentaine de think tanks, dont le Fraser Institute. Ils sont tous
constitués selon le même moule : ils emploient des chercheurs libertariens
pour mener des études spécifiques qui donnent une allure académique à la
doctrine libérale ; les recherches sont publiées sous forme de livre ou de
rapports, distribués largement et promus activement dans les médias. L’Atlas
Foundation finance ou conseille plus de 150 think tank de ce type. De gros
conglomérats, comme ExxonMobile, financent Atlas. Selon The Intercept, un journal en ligne spécialisé en enquête, les
frères Charles et David Koch l’ont généreusement financé. Le groupe a aussi
reçu l’appui de l’investisseur John Templeton[64].
Le Atlas Network décerne les Templeton
Freedom Awards. En 2004, l’Atlas Economic Research Foundation dépêchait ainsi
une de ses cadres à Montréal pour remettre le «Templeton Freedom Award Grants
for Institute Excellence» à Michel Kelly-Gagnon[65].
Cette année, la John Templeton Foundation a donné 216 570$ à l’IEDM pour la
poursuite de la production d’une série télévisée sur PBS[66]. Il
s’agit de la série «Free Markets», qui fait la promotion du «libéralisme
classique». L’animateur Robert Guy Scully mène des entrevues avec diverses
personnalités gravitant autour du Atlas Network comme Edwin Feulner, fondateur
de l’Heritage Foundation, Gabriel Calzada, recteur de la petite université
privée Francisco Marroquin au Guatemala, et Daniel Ikenson, du Cato Institute[67].
Alors que la plupart des néo climato-sceptiques se contentent de minimiser la
gravité du réchauffement, M. Feulner s’entête à nier le phénomène. Au cours
d’un épisode de grand froid, en janvier dernier, il a publié un billet intitulé
«Some Cold Facts» ridiculisant Al Gore, cet ancien vice-président qui tente
d’alerter la population sur les effets catastrophiques des GES[68]. «Le
changement climatique est la fraude du siècle[69]», a
déjà écrit Gabriel Calzada, qui est membre de la Société Mont Pelerin[70], une
des nombreuses sociétés soutenues par les frères Koch[71].
Quant au Cato Institute, rappelons qu’il a été fondé par Charles Koch et ses
collaborateurs[72] et que ses positions
climato-sceptiques sont très documentées. Une autre personnalité interviewée
par Scully dans le cadre de cette série sur PBS est Daniel Hannan, qui fait
partie du groupe de députés britanniques climato-sceptiques et pro-Brexit[73].
L’IEDM et
Power Corporation
Enfin, l’IEDM a des relations étroites avec
Power Corporation, une compagnie bien de chez nous qui a de multiples intérêts
dans de nombreux secteurs, dont le pétrole. La présidente du conseil
d’administration de l’IEDM est Hélène Desmarais, épouse de Paul Desmarais jr,
dirigeant de Power Corp[74]. (Le
conseil d’administration compte aussi sur ses rangs Jean Bernier, longtemps président et chef de la direction
d’Ultramar puis du groupe carburant chez Couche-Tard.)
En 2002, alors que j’étais journaliste à La Presse, Michel
Kelly-Gagnon m’a dit que l’IEDM ne révélait pas le nom de ses donateurs
(supposément parce que ceux-ci ne le voulaient pas), mais il m’a confié que
Power Corporation était un donateur.
Power Corporation a une attitude ambiguë concernant le
réchauffement climatique. L’entreprise indique sur son site que le
réchauffement est l’un des plus grands défis de notre temps, et qu’il faut le
relever[75]. Une
de ses filiales a invité Al Gore à Montréal pour donner une conférence sur le
climat[76]. D’un
autre côté, Power a bel et bien des intérêts dans le pétrole, via la
pétrolière française Total[77],
laquelle espère extirper près de 3 milliards de barils de pétrole des sables
bitumineux albertains au cours des 30 prochaines années.
[1] «France :
le ministre de la Transition écologique démissionne en direct à la radio», Radio-Canada, 28 août 2018.
[3]
Charitable Fraser Institute received $4.3 million in foreign funding since
2000, Vancouver Observer, 30 août 2012.
[4] Heritage Foundation, rapport annuel
2018 : le Montreal Economic Institute (IEDM) est cité dans le rapport
comme un «executive associate» de l’Heritage Foundation à la page 46 ;
Charles Koch est cité comme un «founder» de la Fondation à la page 45.
[5] Organigramme de l’Atlas Network
[6] Trump turns against ‘total joke’ Koch
brothers after North Dakota snub, The Guardian, 31 juillet 2018.
[7] Legault présente son ‘escouade économique’
sans Le Bouyonnec et Chassin, Le Soleil, 29 août 2018.
[8] Mario
Dumais et Youri Chassin, Les
politiques néfastes de gestion de l’offre du Canada, IEDM, juin 2015.
[9] La gestion de l’offre au cœur des
négociations de l’ALÉNA, Les Affaires, 28 août 2018.
[10] Michel C. Auger, Gestion de l’offre :
à quel Trump a-t-on affaire ?, Radio-Canaada, 19 avril 2017
[11] Youri Chassin candidat pour la CAQ dans
Saint-Jérôme, Radio-Canada, 15 avril 2018.
[12] Coalition Avenir Québec, Nos idées, site
consulté le 3 septembre 2018
[13] La CAQ efface les mots «pétrole» et «gaz
de schiste» de son programme, Radio-Canada, 2 septembre 2018.
[14] Énergie-Est : la CAQ maintient que le
Québec peut exiger une redevance, La Presse 28 janvier 2016.
[15] Questionnaire de groupes environnementaux :
la CAQ obtient la pire note, Radio-Canada, 11 septembre 2018.
[16]
Youri Chassin, Les bananes de St-Jérôme en péril, Le Journal de Montréal, 20
juillet 2015.
[17] Nathalie Elgrably-Lévy, Le triomphe de la
vérité, Le Journal de Montréal, p. 23
[18] Qui finance l’IEDM, IEDM. Extrait :
«L’IEDM a cependant comme politique de ne pas révéler l’identité de ses
donateurs».
[19] Louis Fortin, Youri Chassin, Michel
Kelly-Gagnon, Le financement et la transparence des syndicats, IEDM, 18 octobre
2011.
[20] Qui finance l’IEDM, op. cit.
[21] Youri Chassin et Germain Belzile, Peut-on
se débarrasser du pétrole? Les coûts d’une transition énergétique accélérée,
IEDM, décembre 2014. Citation exacte : «Se passer du pétrole n’est ni urgent
ni facile», p. 17.
[22]
Youri Chassin et Guillaume Tremblay, Guide pratique sur l’économie des changements
climatiques, IEDM, novembre 2015. Extrait : «Un réchauffement global de
moins de 2C, tel qu’on le connaîtra d’ici la fin du siècle, aurait des effets
nets positifs en raison notamment de meilleurs rendements agricoles», p. 5.
Voir aussi p. 46.
[23] 2018 Is Shaping Up to Be the
Fourth-Hottest Year. Yet We’re Still Not Prepared for Global Warming, New York
Times, 9 août 2018.
[24] Plus de porcs victimes de la canicule, La
Terre de Chez Nous, 30 juillet 2018.
Voir
aussi : L’excès de chaleur affecte grandement les vaches laitières, La Terre de Chez Nous, 19 juillet
2018.
Voir aussi :
La sécheresse
menace les récoltes au Québec, Radio-Canada, 13 juillet 2018.
[25] Les caprices du climat font augmenter la
faim dans le monde, Libération, 11 septembre 2018.
[26] Les
changement climatique risque de transformer la Terre en ‘étuve’, La Presse, 7
août 2018.
[27]
Nathaliel Rich, Losing Earth :
The Decade We Almost Stopped Climate Change, New York Times, 1er
août 2018.
[28]
Climat : il reste deux ans pour agir, selon le chef de l’ONU, La Presse,
10 septembre 2018.
[29] Cette banque de données est accessible
seulement aux abonnés.
[30]
Institut économique de Montréal, Wikipédia
[32] Biographie de Michel Kelly-Gagnon sur le
site du Premier ministre du Québec.
[33] Institute for Humane Studies, Sourcewatch
[34] Who We Are, Institute for Humane Studies
[35] Biographie de Jasmin Guénette, IEDM
[36] Activités étudiantes, IEDM
[37] Climate Change Deniers Without Borders,
Mother Jones, 22 décembre 2009.
[38] Institute for Humane Studies (IHS), Koch
Industries Climate Denial Front Group, Greenpeace USA.
[39] Charles Koch Personally Founded Group
Protecting Oil Industry Hands-Outs, Documents Reveal, Republic Report
[40] Robert L. Bradley Jr, Climate Alarmis
Reconsidered, IEA, 2003
Voir aussi
l’article qui lui est consacré dans Wikipédia :
[41] Biographie de Robert Bradley Jr, Forbes
[42] Koch-backed political network, built to
shield donors, raised $400 million in 2012 elections, Washington Post, 5
janvier 2014.
[43] Koch Brothers Positioned To Be Big Winners
If Keystone XL Pipeline Is Approved, agence Reuters, 10 février 2011.
[44] Idem
[45] How Canada made the Koch brothers rich,
Canada’s National Observer, 5 mai 2015
[46] David Suzuki, Oiling the machinery of
climate change denial and transit opposition, David Suzuki Foundation, 9 avril
2015
[47] Senators call out Web of Denial Blocking
Action on Climate Change, communiqué du U.S. Senate, Washington, 15 juin 2016.
[48]
Charitable Fraser Institute received $4.3 million in foreign funding since
2000, Vancouver Observer, 30 août 2012. Op. cit.
[49] Déclaration fiscale de la Chase Foundation
of Virginia, 2016.
[50] Biographie de James M. Buchanan, IEDM.
[51] George Monbiot, A despot in disuise :
one man’s mission to rip up democracy, The Guardian, 19 juillet 2017.
[52] Terry Miller, How Fossil Fuels Will Help
Us Confront Climate Change, Heritage Foundation, 13 juillet 2017.
[53] Covert Operations, the billionnaire
brothers who are waging a war against Obama, The New Yorker, 30 août 2010.
[54] Op. cit. Heritage Foundation, rapport
annuel 2018 : le Montreal Economic Institute (IEDM) est cité dans le
rapport comme un «executive associate» de l’Heritage Foundation à la page
46 ; Charles Koch est cité comme un «founder» de la Fondation à la page
45.
[55] Put a Tiger in Your Think Tank, Mother
Jones, mai-juin 2005.
[56]
Michel Kelly-Gagnon, Meet the Powerful Conservative Think Tank Behind Trump’s
America, Huffungtonpost, 21 décembre 2016.
[57] Rapport annuel 2018, Heritage Foundation,
p. 5
[58] Canada’s Corporate Tax Cut Success :
A Lesson for Americans, communiqué du Montreal Economic Institute, 14 août
2018.
[60] Conférence de Jacques Chaoulli à
l’Heritage Foundation, «A Victory for Freedom : The Canadian Supreme
Court’s Ruling on Private Health Care», Heritage Foundation, 22 juillet 2005.
[61] International Policy Network, Sourcewatch,
The Center for Media and Democracy.
[63] Donald Gutstein et al, Publicity and the
Canadian State, édité par Kristen Kozolanka, University of Toronto Press,
Toronto, 2014, pp. 93-94.
[64] Lee Fang, Sphere of Influence : How
American Libertarians are Remaking Latin American Politics, The Intercept, 9
août 2017.
[65]
Cinquième anniversaire de l’Institut économique de Montréal, IEDM, 15 juin
2004.
[66]
Grant Database, John Templeton Foundation
[67] La quatrième saison de la série Free
Markets est désormais disponible en ligne, IEDM, 19 avril 2018.
[68] Edwin J. Feulner, Some Cold Facts,
Heritage Foundation, 10 janvier 2018.
[69] «El cambio climatico es el fraude del
siglo» : Gabriel Calzada, presidente del Instituto Juan de Mariana, 2
décembre 2009.
[70] Biographie de Cabriel Calzada, Universidad
Francisco Marroquin
[71]
Graham Readfearn, The idea that climate scientists are in for the cash has deep
ideological roots, The Guardian, 15 septembre 2017.
[72] The 2001 Annual Report, Cato Institute
[73] Where Eurosceptics and the climate change
sceptics rub shoulders, The Independent, 11 février 2016.
[74]
Conseil d’administration, IEDM
[75] Climate Adaptation, Power Corporation of
Canada
[76] Al Gore commandité par Power, Le Journal
de Montréal, 21 avril 2010.
[77]
Power Corporation de Desmarais : un empire international, Les Affaires, 9
octobre 2013.
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