mardi 16 octobre 2018

Laïcité et fleurdelisé
- Que fait la croix sur notre drapeau?


Répondez sans tricher : 1. Quelle figure est imprimée sur les billets de cinq dollars? 2. Quel animal est gravé sur les pièces de deux dollars? Il y a de fortes chances que vous ne le sachiez pas. Vous avez vu cette figure (Sir Wilfrid Laurier) et cet animal (un ours polaire) des milliers de fois, mais vous n’y avez jamais prêté attention. Il en va de même avec le drapeau du Québec. On le voit tellement qu’outre les fleurs de lis, on remarque peu qu’il est  surtout composé d’une grande croix chrétienne. Le choix du fleurdelisé comme drapeau national, adopté par le premier ministre Maurice Duplessis il y a 70 ans cette année, répondait aux pressions de l’Église catholique. Le clergé le préférait au drapeau des Patriotes et autres pavillons s’inspirant du tricolore français, fort populaire chez les Canadiens-français du Québec et les Acadiens, mais dont les connotations étaient suspectes car révolutionnaires, sinon anticléricales.

La petite histoire du fleurdelisé soulève un paradoxe bien d’actualité. Dans son programme, la Coalition Avenir Québec affirme que «après 10 ans de débat sur les signes et les accommodements religieux, il est plus que temps d’agir et d’adopter une véritable loi sur la laïcité de l’État[1]». C’est dans cette optique que la CAQ veut promulguer l’interdiction «du port de signes religieux au personnel en position d’autorité, ce qui inclut les enseignants», car ces signes religieux, susceptibles d’être portés sur la tête ou au cou de ces fonctionnaires, ne cadreraient pas avec la volonté d’affirmer la laïcité de l’État.

Sitôt élue, la CAQ a promis de légiférer en ce sens. Ses propositions ont l’appui d’une partie importante de la population, de nombreux intellectuels et faiseurs d’opinion et des groupes militant pour la laïcité. Sauf exception, la plupart d’entre eux conviennent que le port de signes religieux n’empêche pas un ou une employée de l’État de bien faire son travail. Mais ils plaident que les symboles ont leur importance. L’État doit être neutre, laïc, et par conséquent ses employés, s’ils sont en position d’autorité, ne peuvent afficher leurs croyances religieuses.

«La question du port de symboles religieux dans la vie civique est un légitime débat de société», écrivaient une trentaine de personnalités, dont plusieurs membres de groupes militant pour la laïcité, dans une lettre ouverte publiée en avril 2018[2]. «En philosophie juridique, la laïcité consiste à évacuer complètement la présence religieuse de la sphère civique en raison du principe de la séparation entre la religion et l’État, dans une perspective de droits collectifs.»

On a beaucoup débattu de la place du crucifix à l’Assemblée Nationale. Mais personne ne semble voir l’omniprésent drapeau, qui est de loin le symbole le plus important de l’État. Tel un étendard rappelant la présence religieuse dans notre sphère civique et officiellement «chargé d’une croix blanche», comme le prescrit la Loi[3], il flotte sur tous les édifices du gouvernement du Québec. Peu habitués de voir cette croix, les immigrants d’autres confessions la remarquent peut-être plus que les citoyens déjà établis. En tous cas, le fleurdelisé claque au-dessus de leur tête à côté de l’unifolié dès qu’ils sortent de l’aéroport international de Montréal, pourtant de juridiction fédérale. Il apparaît en miniature sur tous les documents émis par le gouvernement québécois, carte d’assurance-maladie, permis de conduire, publications, correspondance, bordereaux de chèques, etc.

La croix a disparu des drapeaux de la majorité des pays du monde chrétien, notamment dans presque toute l’Amérique lorsque les colonies se sont libérées des anciennes puissances protestantes ou catholiques, Angleterre, Espagne, Portugal, France (voir le drapeau haïtien). En Europe, sauf exception, elle est restée sur les drapeaux de pays qui n’ont pas rompu avec l’Église ou avec la royauté, généralement associée au pouvoir religieux. Le premier exemple qui vient à l’esprit est l’Union Jack, alors que le chef de l’État, Élizabeth II, est à la fois reine du Royaume-Uni et gouverneure suprême de l’Église anglicane d’Angleterre[4]. En Grèce, dont le drapeau arbore une croix blanche sur fond bleu comme au Québec, l’État ne s’est pas séparé de l’Église, à tel point qu’il paie le salaire des prêtres[5]. La Suède, le Danemark, la Norvège, qui ont leur fameuse croix scandinave sur leurs drapeaux, sont des monarchies constitutionnelles : en vertu des règles de succession, le monarque suédois doit obligatoirement être membre de l’Église.

Voilà donc le paradoxe québécois. On veut bannir les signes religieux de la sphère civique pour affirmer la laïcité de l’État, sauf le signe le plus visible (la croix) sur le symbole le plus important (le drapeau). C’est, fait on valoir, une question de tradition. Cela pose une question : quelles traditions au juste? Nos traditions de peuple qui se bat pour des valeurs de liberté, d’égalité et de fraternité? Ou nos traditions de peuple soumis aux diktats de l’Église catholique? À quelles traditions françaises adhérons-nous? Celles des républicains laïcs, ou celles des rois chrétiens qui se croyaient choisis par Dieu?

Le tricolore : populaire et suspect

Comme on sait, les Patriotes brandissaient un autre drapeau, tricolore, qui s’inspirait des principes de la révolution française de 1789[6]. En 1832, les comités régionaux de Patriotes choisissaient leurs couleurs : le vert, le blanc et le rouge. Deux ans plus tard, ces trois couleurs, s’étendant de haut en bas en bandes horizontales, constituaient le drapeau officiel de la nouvelle société Saint-Jean-Baptiste de Montréal, comme le note l’histoire du drapeau du Québec publiée chez l’Éditeur officiel :

«Ce tricolore vert-blanc-rouge flotta sur toutes les assemblées politiques de l’époque pré-révolutionnaire. Drapeau officiel de la rébellion armée de 1837-1838, il fut déployé au cours des combats. Il fut témoin de la victoire des Patriotes à Saint-Denis, de leur défaite à Saint-Charles et à Saint-Eustache (novembre 1837), aux mains des soldats réguliers britanniques. L’année suivante, il était toujours drapeau officiel des Patriotes lors de la proclamation de la République du Bas-Canada par Robert Nelson[7]

En 1842, la Société Saint-Jean-Baptiste de Québec, fondée 10 ans après celle de Montréal, arborait spontanément le tricolore des Patriotes. Puis, quand la France s’allia à la Grande-Bretagne dans la guerre de Crimée (1854-1856), les Canadiens français se sentirent autorisés à agiter le tricolore français. Ils le firent en masse, et avec passion. «D’une manière générale, on semble unanime pour reconnaître que de 1854-1855 jusque vers les années 1903-1904, le tricolore de France tint lieu de drapeau national des Canadiens français[8]».

Autrement dit, le tricolore (le vert blanc rouge en bandes horizontales des Patriotes, ou le bleu blanc rouge en bandes verticales de la République française) a été le drapeau dominant chez les Canadiens français pour la plus grande partie du 19e siècle. Même en 1939, un auteur notait que le tricolore était encore «arboré à profusion dans toutes nos fêtes[9]».

C’était le cas non seulement au Québec, mais aussi en Acadie. «Le tricolore républicain français ayant été le symbole prédominant du mouvement nationaliste canadien français depuis le milieu du 19e siècle, plusieurs Acadiens s’y montraient également loyaux[10]» (traduction libre), rappelle l’historien Perry Biddiscome. Le clergé acadien, du moins son aile réactionnaire, trouvait cette dévotion plutôt louche. Des religieux influents manifestèrent leur irritation. Le tricolore «constituait un symbole du républicanisme français, avec toutes ses connotations révolutionnaires et anticléricales», souligne Biddiscome. Le Père Phileas Bourgeois, professeur au Collège St-Joseph de Memramcook (Nouveau-Brunswick), se plaignait que «La France de nos jours n’est pas la France des rois chrétiens… nous voyons ses drapeaux flotter au vent du 14 juillet pour rappeler le ‘ça ira’ et la Bastille»… Un drapeau arborant une fleur de lis fut donc hissé sur le toit du collège en remplacement du tricolore. Selon Biddiscome, tout porte à croire que le clergé acadien favorisait le drapeau à fleur de lis, alors que l’élite acadienne lui préférait le tricolore. Celui-ci, orné d’une étoile jaune, finit par l’emporter au cours de la convention nationale des Acadiens, le 15 août 1884. La foule, joyeuse, entonna La Marseillaise.

Inquiets, le haut clergé et la droite réactionnaire se mobilisèrent aussitôt. Puisque calqué sur le tricolore français, le nouveau drapeau acadien fut dénoncé comme le drapeau «satanique» de la Révolution française[11]. Il ne fallait surtout pas qu’il devienne aussi le drapeau officiel au Québec. Le débat s’engagea, opposant la gauche et la droite. Les attaques contre le tricolore qui avaient émergé dans la presse canadienne française de droite allèrent en s’intensifiant, écrit Biddiscome.

La croix et la bannière

En 1899, une coalition radicale et socialiste prenait le pouvoir en France et lançait une campagne anticléricale qui allait mener à la séparation officielle de l’Église et de l’État six ans plus tard. De nombreux membres du clergé canadien français faillirent s’étouffer d’indignation. Dénigrer le tricolore avec férocité était cependant une entreprise risquée, tellement il était populaire auprès de leurs ouailles, mais ils cherchèrent avec une énergie renouvelée à imposer un drapeau aux couleurs de la vieille France royaliste et catholique. En 1902, l’abbé Elphège Filiatrault hissait sur son presbytère de Saint-Judes (Saint-Hyacinthe) un pavillon constitué d’un «champ bleu orné de quatre fleurs de lis et traversé d’une croix blanche[12]» et qui est l’ancêtre de notre fleurdelisé (les différences sont mineures). Il reçut le nom de Carillon, car une bannière semblable aurait accompagné les troupes victorieuses du marquis de Montcalm dans la bataille du Fort de Carillon (au sud du lac Champlain).

Le Carillon, pendant un temps orné du Sacré-Cœur, fut béni en 1903 sous la présidence de Monseigneur L.-A. Pâquet, protonotaire apostolique et directeur du Grand Séminaire de Québec : «pénétrez bien vos âmes des idées et des sentiments dont il est le symbole», s’exclama-t-il. Premier élément symbolique: «la foi nationale, figurée par cette croix blanche que la France chrétienne, notre ancienne mère patrie, porta si longtemps et si glorieusement à son front[13]». En 1938, Joseph-Papin Archambault, un Jésuite qui menait une guerre acharnée au socialisme (et plus particulièrement à la Co-Opérative Commonwealth Federation, ancêtre du Nouveau Parti démocratique[14]) expliquait dans un tract que la croix, «signe de notre rédemption», avait bien sa place sur le drapeau[15]. En 1944, c’était au tour du chanoine Lionel Groulx de faire l’éloge de ce «drapeau d’azur à une croix d’argent cantonnée de quatre fleurs de lis[16]».

Finalement, le 21 janvier 1948, le premier ministre Maurice Duplessis décrétait l’adoption du fleurdelisé tel qu’on le connaît aujourd’hui. L’arrêté au conseil précisait qu’il répondait «aux traditions, aux droits et aux prérogatives de la province[17]». Le mois suivant, Onésime Gagnon, ministre des Finances, sortait de son discours du budget pour évoquer le premier symbole du nouveau drapeau officiel du Québec : «La croix blanche de ce drapeau qui remonte à l’époque des croisades (…) nous rappelle nos origines catholiques[18]».

La fleur de lis (qui n’a pas grand chose à voir avec la plante éponyme, constituée de six pétales de taille identique) a elle aussi une valeur symbolique très chrétienne, rappelle l’historien Gilles Laporte dans un texte du Mouvement national des Québécois sur les origines du fleurdelisé : «À la suite de Clovis, les rois de France remplacent le vieux symbole païen du crapaud qu’on retrouvait jusque-là sur leurs armes par la fleur de lys. Cette dernière symbolise d’abord la trinité – la trinité chrétienne, bien sûr […]. Le lys pose aussi les fondements de l’ordre monarchique.» Laporte cite un extrait d’une chronique de Saint-Louis, roi de France en 1230 : «Les deux feuilles pareilles [de la fleur de lis], qui signifient la sapience et la chevalerie, gardent et défendent la troisième feuille, qui signifie la foi, et qui est placée plus haut au milieu des deux autres car la foi est gouvernée et réglée par la sapience et défendue par la chevalerie. Tant que dans le royaume de France ces trois feuilles seront unies ensemble en paix, vigueur et bon ordre, le royaume subsistera[19]

Cela dit, le fleurdelisé est là pour rester. Il se classe parmi les plus beaux drapeaux en Amérique du Nord[20]. Chercher à s’en débarrasser au nom de la laïcité serait une perte de temps et causerait une division stérile : il est trop tard pour adopter le drapeau des Patriotes ou une variante du drapeau acadien. Mais les ardents partisans de la laïcité devraient peut-être réfléchir au paradoxe que créerait l’interdiction du port des signes religieux en brandissant un étendard bien catholique. Ce bannissement risquerait lui aussi de provoquer une inutile division alors qu’il faudrait plutôt mobiliser l’ensemble des Québécois autour de priorités comme la protection de la langue française, la protection de notre identité commune face à l’invasion de la culture anglo-américaine via internet et la protection du climat.

Rappelons que la séparation de l’Église et de l’État n’est toujours pas officiellement faite au Québec[21]. La loi proposée par le gouvernement caquiste ne la consacrera pas. La très riche Église catholique, assise sur de gigantesques biens immobiliers (à elles seules, les terres du séminaire de Québec couvrent 1600 km2[22]!), ainsi que toutes les organisations religieuses, continueront de profiter de leurs avantages fiscaux en étant exonérées des paiements de l’impôt. Les écoles confessionnelles continueront d’être subventionnées. Suggestion au nouveau premier ministre, soucieux de réduire la dette publique: il y a là des millions de dollars à aller chercher. Voilà ce que ferait un État vraiment laïc. Ce serait un geste plus courageux et plus profitable que de s’en prendre à quelques hijabs, dont on cherche encore en quoi ils menacent les droits collectifs.




[1] Coalition Avenir Québec, Nos idées, Identité et culture, site internet consulté le 5 octobe 2018
[2] Policiers et symboles religieux – une ligne à ne pas franchir, Le Devoir, 7 avril 2018 https://www.ledevoir.com/opinion/idees/524693/policiers-et-symboles-religieux-une-ligne-a-ne-pas-franchir
[3] Loi sur le drapeau et les emblèmes du Québec, article 1.
[4] The Queen, the Church and other faiths, Site de la monarchie royale du Royaume-Uni :
[5] Le fabuleux trésor de l’Église grecque, Le Point, 23 décembre 2011.
[6] Jacques Archambault et Eugénie Lévesque, Le Drapeau québécois, Éditeur officiel du Québec, Québec, 1978, p. 15.
[7] Op. cit., p. 17.
[8] Op. cit., p. 18.
[9] C.-J. Magnan, Le Carillon-Sacré-Cœur, Drapeau National des Canadiens français, L’Action catholique, Québec, 1939, p. 26.
[10] Perry Biddiscome, «Le Tricolore et l’étoile» ; The Origin of the Acadian National Flag, 1867-1912, p. 122.
[11] Op. cit., p. 138.
[12] Jacques Archambault, op. cit., p. 21.
[13] C.-J. Magnan, op cit., p. 22.
[14] Joseph-Papin Archambault (1880-1966) Homme d’église, Bilan du siècle, Site encyclopédique sur l’histoire du Québec depuis 1900
[15] Joseph-Papin Archambault, S.J., Le Drapeau canadien-français, L’œuvre des tracts, L’Action paroissiale, Montréal, 1928, p. 5.
[16] Lionel Groulx, Le Drapeau canadien français, ce qu’il est et pourquoi ?, éditeur : l’abbé Pierre Gravel, Montréal, 1944, p. 1.
[17] Jacques Archambault, op. cit., p. 26.
[18] Christian Blais, Introduction historique, 22e législature, 4e session, Assemblée Nationale
[19] Gilles Laporte, Mouvement national des Québécoises et Québécois, Le fleurdelisé, Aux origines du drapeau québécois, document en ligne, 2018, consulté le 5 octobre 2018.
[20] Historique du drapeau du Québec, Société Saint-Jean-Baptiste de Montréal.
https://ssjb.com/historique-du-drapeau-du-quebec/
[21] À quand une vraie séparation de l’Église et de l’État ? La Presse, 21 mars 2016.
[22] Historique, Séminaire de Québec.


mercredi 19 septembre 2018

Youri Chassin, la CAQ et le lobby du pétrole (suite et fin)

Youri Chassin, la CAQ et le lobby du pétrole (suite et fin)

- André Noël, 19 septembre 2018


Les chroniques de Youri Chassin

Il n’est pas anodin de se pencher sur les activités du lobby du pétrole. Si rien n’a été fait au Québec, au Canada et dans la plupart des pays pour opérer le changement qui s’impose afin de stopper le réchauffement du climat, ce n’est pas à cause de l’indolence et du masochisme de la population mais largement à cause de l’influence de ce lobby, qui a convaincu une bonne partie de la population que la situation n’est ni grave ni urgente. Si les Québécois étaient conscients du fait que leurs enfants nés cette année risquent de ne pas pouvoir vivre jusqu’à la fin du siècle parce que la planète risque alors d’être devenue invivable, ils se mobiliseraient. Mais ils n’y croient pas, malgré les avertissements lancés par les scientifiques. Ils n’y croient pas parce que des personnes influentes et des chercheurs soi-disant indépendants les rassurent en leur disant qu’il ne faut pas exagérer.

En tant que directeur de la recherche à l’Institut économique de Montréal (IEDM), Youri Chassin, aujourd’hui candidat de la Coalition Avenir Québec (CAQ), ne pouvait ignorer que l’IEDM fait partie de la nébuleuse des think tanks soutenue par des magnats du pétrole comme les frères Koch notamment pour convaincre les gouvernements de ne pas nuire aux intérêts pétroliers (voir la première partie de ce dossier publiée hier). En fait, M. Chassin semble s’être inspiré de la nouvelle idéologie climato-sceptique de groupes comme le Cato Institute, qui minimise les dangers du réchauffement plutôt que de les nier bêtement. Rien ne démontre, dans la campagne électorale en cours, que la CAQ et son chef, François Legault, sont vraiment préoccupés par les changements climatiques.

Les mesures visant à réduire la production et la consommation d’hydrocarbures sont présentées par les néo-climato-sceptiques comme nuisibles pour l’économie, coûteuses pour la population et surtout prématurées, puisqu’il n’y aurait pas d’urgence à se passer du pétrole. Le réchauffement du climat est présenté comme un phénomène très compliqué, une façon subtile d’amener les citoyens à ne pas trop se casser la tête avec ça, eux qui ont déjà tant d’autres soucis et qui devraient plutôt s’inquiéter des hausses de taxes sur les carburants. Plutôt que de limiter notre dépendance au pétrole, les gouvernements devraient faire confiance au marché, qui finira bien par développer de nouvelles technologies pouvant limiter les émanations de gaz à effet de serre (GES). Ce mantra est bien résumé par le Cato Institute, un des nombreux think tanks américains soutenus par les Koch :

Global warming is indeed real, and human activity has been a contributor since 1975. But global warming is also a very complicated and difficult issue that can provoke very unwise policy in response to political pressure. Although there are many different legislative proposals for substantial reductions in carbon dioxide emissions, there is no operational or tested suite of technologies that can accomplish the goals of such legislation.
Fortunately, and contrary to much of the rhetoric surrounding climate change, there is ample time to develop such technologies, which will require substantial capital investment by individuals[1]. (Nos soulignements.)

C’est la ligne de pensée que Youri Chassin a systématiquement suivie lorsqu’il a écrit sur le climat, l’énergie et l’environnement, ses thèmes de prédilection. M. Chassin a pu profiter d’une tribune grand public en publiant ses chroniques dans le Journal de Montréal. Voici quelques extraits de ses articles, tous disponibles sur le site de l’IEDM.

Bourse du carbone : dans quelle galère embarquons-nous ? 3 juillet 2014

Comme nombre de bonnes idées, malheureusement, c’est dans son application que le marché du carbone pose problème. Ainsi, dès janvier, le prix du litre d’essence augmentera d’environ 3 ¢ en raison de cette nouvelle taxe.

On peut penser que les Québécois seraient prêts à payer un peu plus cher pour se déplacer. Mais on ne doit pas oublier que le Québec est déjà une des provinces taxant le plus l’essence au Canada. Cette augmentation de 3 ¢ par litre n’apparaît pas substantielle en elle-même, mais c’est le total qui fait mal quand on sait qu’une famille possédant deux voitures paie facilement plus de 1200 $ par année en taxes sur l’essence.

Un éléphant vert au PQ, 21 janvier 2015

Dans cet article, M. Chassin ridiculisait deux candidats à la chefferie du Parti Québécois, dont Bernard Drainville qui proposait « que le Québec devienne la première économie sans pétrole, la première économie vraiment verte des Amériques ».

Parler d’utopiques projets à grands renforts de buzzwords, c’était peut-être séduisant à une époque. Mais aujourd’hui, alors que l’information circule abondamment, ces deux candidats n’ont pas fait leurs devoirs. Les éléphants verts sont jolis en théorie, mais ne survivent pas à la réalité.

Surtaxe de 3.57 cents à la pompe… pour Québécois seulement ! 7 avril 2015

Malheureusement, le Québec est déjà une des provinces taxant le plus l’essence au Canada. Une famille possédant deux voitures paie déjà, bon an mal an, plus de 1200 $ par année en taxes sur l’essence!

Quant à nos entreprises, elles devront débourser pour acheter des droits d’émission au lieu d’investir dans leur développement. L’impact de ce coût supplémentaire ne peut qu’entraîner une perte de compétitivité pour les entreprises installées ici et un ralentissement de l’économie, puisque seuls le Québec et la Californie ont décidé pour le moment de mettre cet accord en application. Sans l’ajout d’autres partenaires dans ce « marché », cette initiative fait peu de sens.

Les bananes de St-Jérôme en péril, 20 juillet 2015

Dans cet article, M. Chassin ridiculisait le maire Coderre et d’autres maires pour leur opposition au projet d’Énergie Est.

Tenter d’arrêter le commerce qui transite par le Québec équivaut à une demande de rançon : donnez-nous des retombées économiques sinon... pas de projets! Le problème, c’est que demain, qui se permettra de jouer les brigands de grands chemins à nos dépens?

Anticosti deviendra-t-elle la Terre-Neuve du Québec, 29 octobre 2015

Or, il existe une belle opportunité d’enrichir l’île, ses habitants et le Québec dans son ensemble. Et cette opportunité  passe par l’exploitation d’une richesse abondante de l’île : son pétrole. (…)

Le Québec abonde en ressources énergétiques, mais les efforts en vue de développer les réserves d’hydrocarbures de la province ont essuyé ces dernières années retards et obstacles réglementaires, en plus de l’opposition de groupes militants. Si le Québec donnait le feu vert tant attendu au développement de ses ressources, notamment pétrolières sur l’île d’Anticosti, l’économie du Québec en entier s’en porterait mieux.

Les morts «climatiques» et la pauvreté, 25 novembre 2015

La Conférence de Paris sur les changements climatiques s’ouvre dans 5 jours et, inévitablement, les journaux se remplissent de nouvelles alarmantes sur les changements climatiques (…)

Par contre, il ne faut pas tomber dans l’alarmisme (…)

Il est pertinent de souligner deux éléments pour contrer le catastrophisme (…)

Penser qu’on va tous mourir dans d’effroyables tempêtes tient davantage du bonhomme sept heures que de la réalité scientifique.

Anticosti, pipelines et pétrole : la majorité silencieuse se révèle pragmatique, 17 février 2016

Même si on souhaite ne plus utiliser de pétrole demain matin, ce n’est pas encore envisageable. Dans ces conditions, il ne faut pas confondre la pensée magique avec une option raisonnable ou envisageable.

Le coût de la réduction des GES : 600$ à 1800$ par Canadien, 22 avril 2016

C’est (les objectifs de réduction de GES) vraiment très peu réaliste dans l’état actuel des choses.

Les trois amigos promettent beaucoup, 29 juin 2016

Dans le passé, plusieurs gouvernements ont promis davantage d’énergie verte, sans trop s’attarder aux conséquences économiques pour leurs citoyens. En Espagne, ce fut une catastrophe. Les prix de l’électricité ont grimpé en flèche, affectant les consommateurs et les finances publiques. Les familles allemandes paient quant à elles plus de 400$ par année en moyenne pour subventionner les énergies vertes. (…)

Si la promesse d’augmenter la part des énergies renouvelables signifie l’appauvrissement des citoyens d’Amérique du Nord, la moindre des choses seraient d’être transparents.

L’échec prévisible du Fonds vert, ou comment choisir les pires projets, 8 août 2016

Les politiciens et les fonctionnaires ne sont pas les bonnes personnes pour choisir les projets de réductions des GES à financer.

L’or «pas si noir» stimule notre économie, 24 mars 2017

Parfois, on a tendance à oublier que le pétrole n’est pas qu’une source de pollution. Comme source d’énergie, le pétrole permet à notre société de fonctionner. Comme source d’activité économique, le pétrole permet à l’économie québécoise de fleurir. Tout n’est pas noir lorsqu’il s’agit de l’or noir. Il y a le mot « or » aussi.


«Se passer du pétrole n’est ni urgent, ni facile»

Cette affirmation de M. Chassin (et de son collègue Germain Belzile) représente la quintessence de la nouvelle idéologie climato-sceptique, qui s’adapte tant bien que mal au réchauffement indéniable du climat. Bien évidemment, se passer du pétrole n’est pas facile, mais c’est certainement urgent. Il est urgent de prendre les mesures difficiles pour s’en passer. Mais en répétant que ce n’est pas facile, les néo climato-sceptiques atteignent malheureusement le but que s’est fixé le lobby des hydrocarbures : décourager la population de changer ses habitudes et la dissuader de se mobiliser pour obliger les gouvernements à nous sortir du pétrole.

Cette phrase apparaît dans un cahier de recherche que MM. Chassin et Belzile ont publié en décembre 2014 pour dénigrer les propositions de deux groupes environnementaux, Équiterre et Vivre en ville, visant à réduire la consommation de pétrole. Elle s’intitule : «Peut-on se débarrasser du pétrole ? Les coûts d’une transition énergétique accélérée»[2].

Les écologistes sont présentés comme des rêveurs déconnectés de la réalité économique et dont les propositions, si elles étaient adoptées, viendraient appauvrir les Québécois :
Les arguments des retombées économiques, de la réduction des importations et de la création d’emplois verts, souvent invoqués pour illustrer d’autres avantages des moyens proposés, contredisent les prémisses de base de l’analyse économique. Subventionner un emploi nécessite forcément de prélever ailleurs dans l’économie des taxes et des impôts qui, eux, détruisent des emplois non subventionnés. Ainsi, en Ontario, chaque emploi dans les énergies vertes coûte plus de 179 000 dollars.
Les vrais rêveurs sont pourtant ces économistes qui pensent que l’économie peut continuer de tourner sans changement radical. Les experts du climat sont formels : les changements climatiques en cours nous mènent tout droit vers une catastrophe planétaire et un effondrement économique sans précédent. Peu importe cette réalité, M. Chassin insiste sur les bénéfices reliés au pétrole :
Selon eux (les écologistes), la grande place qu’occupe le pétrole dans nos vies et notre économie signifie que nous sommes « dépendants du pétrole ».
La notion de dépendance est toutefois trompeuse. Si l’utilisation du pétrole comme source d’énergie génère des désagréments et de la pollution, elle engendre aussi d’importants bénéfices, particulièrement pour le transport des personnes et des marchandises. (…)
Il ne sert à rien de diaboliser une ressource s’il n’existe pas de solutions de rechange réalistes, ni d’échafauder des projets sans prendre en compte leurs coûts et la volonté populaire de les assumer.
M. Chassin martèle que la transition énergétique proposée par les écologistes engendrerait une baisse draconienne du niveau de vie des Québécois.
Tenter d’accélérer ce processus requiert des programmes gouvernementaux toujours coûteux et rarement efficaces. (…)
De cette façon, l’atteinte de l’objectif fixé par Équiterre et Vivre en ville, soit de diminuer de 60% la consommation d’essence pour les transports privés, devrait se matérialiser par une hausse du prix de l’essence de 100%. Il faudrait donc ajouter de nouvelles taxes sur l’essence pour faire passer le prix de 1,38  à 2,76$. (…)
Penser qu’il y a des économies à faire en se passant d’un produit dont la consommation augmente le bien-être et la productivité équivaut à suggérer que nous devrions tous jeûner pour épargner sur les dépenses d’épicerie.
La solution au problème du réchauffement climatique – un problème qui n’est pas urgent, rappelons-le -, est donc de laisser les entreprises développer de nouvelles technologies. Entre-temps, les gouvernements devraient y réfléchir à deux fois avant d’augmenter les taxes sur l’essence de façon importante et d’utiliser ces nouvelles recettes pour subventionner les énergies vertes, car la grande majorité des Québécois ne voudraient pas d’une telle mesure.
Le progrès technologique nous permettra certainement à moyen terme de réduire la consommation de pétrole et de passer à des énergies plus propres. Entre-temps, il faudrait davantage prendre en compte dans les débats publics les coûts que représentent les propositions des groupes environnementalistes pour accélérer cette transition vers des sources d’énergie plus vertes.
Tous ceux qui suivent l’actualité au Québec ont pris note de la vision de M. Chassin sur le rôle de l’État, tel qu’il l’avait développée sur son blogue, trois semaines avant de présenter sa candidature pour la CAQ : «Si je me montre si suspicieux envers les solutions étatiques, c’est principalement parce que je ne crois pas au mythe d’un État au service du bien commun. Déjà, l’idée qu’il puisse exister un «bien commun» sonne l’alarme. La joute politique se fonde justement sur l’absence de consensus quant à la nature du fameux bien commun[3]
Il existe pourtant un bien commun, la planète Terre, qui n’appartient surtout pas aux magnats du pétrole. Des décisions doivent être prises à l’abri de leur lobby. Deux visions s’affrontent. Les scientifiques (et l’ONU, la FAO, le GIEC, etc.) répètent jour après jour qu’il est urgent de sortir d’une économie basée sur la combustion fossile. Youri Chassin, ses collègues de l’IEDM et toute la nébuleuse de think tanks soutenus par l’industrie du carbone affirment au contraire que nous pouvons prendre notre temps. M. Legault croit-il les scientifiques ou son candidat Youri Chassin?
Croyons-nous en la science ou au lobby du pétrole? C’est probablement la question centrale qui devrait se poser en cette fin de campagne électorale. D’autres dossiers, comme l’immigration, ont fait l’objet de nombreux échanges entre les partis; il est peut-être temps de passer à un autre débat, un débat sur une crise réelle et pressante, celle du climat, qui exige des mesures concrètes et immédiates.





















[1] Global Warming, Cato Institute
[2] Youri Chassin et Germain Belzile, Peut-on se débarrasser du pétrole ? Les coûts d’une transition énergétique accélérée, IEDM, décembre 2014.
[3] Youri Chassin candidat pour la CAQ dans Saint-Jérôme, Radio-Canada, 15 avril 2018.